L'avenir des startups SAAS au Maroc : Made in Morocco, for the World
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Un SAAS (Software as a service) est un type de logiciel, qui est défini par 2 attributs différenciants :
Modèle de facturation basée principalement sur la récurrence à travers un abonnement annuel ou mensuel
Modèle d’accès au logiciel à travers le cloud (vs les ordinateurs ou serveurs d’une entreprise - on-premise)
Ce secteur est en pleine transformation à la fois l’international et au Maroc également. C’est le sujet que je vous propose aujourd’hui sous plusieurs angles :
Un marché mondial en pleine expansion
Quid du marché marocain ?
Quel positionnement SAAS pour les start-ups marocaines ?
Est-ce possible de développer de belles entreprises SAAS depuis le Maroc ?
Comment y arriver ? Des liens pour aller plus loin !
Un marché mondial en pleine expansion
Au niveau mondial, le marché du SAAS a dépassé 100 milliards de $ en 2019, suite à l’adoption de ce business model par des grandes boîtes technologiques. À titre d’exemple, Microsoft a pu rapidement capter une part de marché importante grâce à l’offre Microsoft 365, Dynamics Line et LinkedIn, ou encore Adobe, un des premiers éditeurs de logiciels de bureau comme Photoshop qui est passé en Cloud en 2013.
Au-delà des big tech, plusieurs start-ups SAAS ont pu franchir le cap des 100 millions dollar d’ARR (Revenu récurrent annuel) en un temps record. La forte scalabilité du modèle, la récurrence du chiffre d’affaires ainsi que les marges importantes ont renforcé l’intérêt des investisseurs pour cette catégorie et par conséquent, une allocation de capital encore plus importante dans les années à venir.
Avant le SAAS, l’utilisation d’un logiciel au sein d’une entreprise implique l’achat du logiciel et du matériel (ordinateur ou serveur) souvent spécialisés pour le faire tourner. Ainsi, l’utilisation et le déploiement des logiciels étaient cantonnés chez les grandes entreprises ayant la capacité de déployer les logiciels.
Le SaaS a conduit à une "démocratisation des logiciels" auprès des PMEs, partout dans le monde. On peut compter 3 avantages majeurs :
Coût d’entrée plus faible : Une PME peut tester une solution avant de s’engager à l’adopter, et le mode de facturation à la consommation passe les frais en OpEx récurrent, annulable à tout moment versus un CapEx important pour une licence perpétuelle et/ou un hardware
Aucune maintenance nécessaire en interne pour garder le logiciel fonctionnel dont les mises à jour étaient inaccessibles en coût ou pouvaient “casser quelque chose”
Accès aux dernières fonctionnalités automatiquement pour l’ensemble des utilisateurs
Quid du marché marocain ?
À ma connaissance, aucune boîte SAAS marocaine n’a pu, à date, développer une position dominante dans son segment au Maroc ou encore réaliser un chiffre d’affaires significatif à l’international.
Les causes racines peuvent être réparties à la fois sur l’offre et sur la demande. Le choix des segments de marché à adresser par les entrepreneurs marocains, ainsi que l’adoption limitée du SAAS par le tissu économique au Maroc, à la fois par les PMEs et les grandes entreprises.
Les limites au niveau de la demande
Une taille de marché limitée : le marché cœur du SAAS dans le monde est la PME et la grande entreprise, alors qu’au Maroc, on compte environ 15 000 entreprises ayant + de 10 Millions Dhs de chiffre d’affaires.
L’autre segment le plus important en termes de volumes est la TPE, estimé à 2 millions d’entreprises. La forte proportion de l’informel auprès de ce segment, l’existence de substitut quasi gratuit (gmail, GSuite / office particulier, les pages Facebook) et ainsi que la bancarisation limitée rendent ce marché difficilement adressable par le SAAS.
Une propension à payer limitée due à une main-d’œuvre bon marché et une valeur perçue limitée : Le business case de l'adoption du SaaS n’est pas clair en raison du faible coût de la main-d'œuvre. L'exécution manuelle est possible pour la plupart des tâches. Dans des marchés développés où le taux horaire est élevé, un logiciel qui augmente la productivité pourrait faire du sens.
Pour apprécier la productivité des collaborateurs, il est essentiel d’avoir un système de comptabilité analytique en interne. Alors que dans le contexte Marocain, la plupart des PMEs marocaines ne disposent pas d’un tel système. Par conséquent, la perception de valeur du SAAS et de l’automatisation est limitée, combinée à une pression importante sur la trésorerie.Une crainte de l'exposition des données au cloud et au risque fiscal : Un autre obstacle à l'adoption de SaaS est la méfiance à l'égard du cloud, portée par une peur de contrôle fiscal notamment pour les PMEs. Elles préféreraient le papier, qui pourrait être considéré comme chronophage à contrôler et du coup, mitiger le risque d’un contrôle fiscal.
Pour les grandes entreprises, la méfiance à l’égard du cloud, concerne principalement la sécurité et la confidentialité des données, à tort ou à raison.
Un besoin en personnalisation et un niveau de service élevé, contraire à l'esprit SAAS : Une volonté de personnalisation importante auprès des chefs d’entreprises marocaines. Le dilemme typique des start-up SaaS devient le suivant : "Devons-nous personnaliser et gagner de l'argent ou nous concentrer uniquement sur les fonctionnalités de la feuille de route du produit, c'est-à-dire les fonctionnalités que tout le monde peut utiliser ? " Par conséquent, plusieurs boîtes SAAS se transforment en agences développement web ou SSII déguisées.
Une autre contrainte est le niveau de service requis. Dans le segment des PME, un client américain va préférer le DIY (Do It Yourself), tandis qu’un client marocain typique va préférer le DIFM (Do It For Me).
Cet état d'esprit rend l'adoption de SaaS au Maroc particulièrement difficile, car les PME sont traditionnellement le point d’entrée des entreprises SaaS aux États-Unis et en Europe, avant d’attaquer les grands comptes.
Une offre SAAS très limitée en nombre et peu mature
Un investissement limité en SAAS : De 2010 jusqu’à Juin 2021, seulement 12 levées de fonds ont été réalisées principalement par Maroc Numeric Fund et 212 Founders.
Une expérience limitée de l'écosystème sur comment scaler un SAAS à l'international : La technicité nécessaire pour scaler une start-up SAAS dans un marché mondialisé est très importante. Malgré l’existence de ressources sur internet, l’absence de fondateurs locaux ayant une expérience solide dans le domaine, retarde le gap de know-how versus d’autres écosystèmes.
Un pool de talents limité en Product Management & en global Sales : le produit est le cœur du réacteur dans une boîte SAAS. La nature du SaaS implique que le client réévalue constamment le produit - chaque semaine, chaque mois ou chaque année. Le coût du switch est très limité en comparaison à une solution on-premise.
Par conséquent, le métier du Product management est critique pour la réussite d’un SAAS. Alors qu’au Maroc, ce métier est encore très naissant et le nombre de postes dans des start-ups ou entreprises marocaines est très limité.
La non-prise en charge des paiements récurrents par CMI/Pay Zone : une start-up comme Manageo ne peut pas proposer une offre mensuelle en modèle d’abonnement car la gestion de paiements récurrents par les fournisseurs de services de paiement tels que CMI/Payzone est peu fiable et comporte plusieurs erreurs (ex. double facturation etc..).
L’alternative pour l'utilisateur est de faire un paiement mensuel via un virement ou ressaisir la carte bancaire à chaque fois, ce qui a pour conséquence : une expérience utilisateur frustrante, un recouvrement compliqué et un churn élevé quasiment assuré. Une des techniques d’acquisition est d’offrir “free trial” avec le renseignement de la carte bancaire. Une fois la période terminée, la carte bancaire est automatiquement débitée. Cette option est également non-couverte par CMI/PayZone.
Ces frictions pour les paiements sont des solutions basiques à l’international via des solutions ChargeBee ou Stripe Billing.
Au-delà de la gestion des paiements récurrents, le faible développement de l’écosystème fintech limite la proposition de valeur du SAAS. Par exemple, en France ou aux États-Unis, des solutions comme PennyLane ou QuickBooks utilisent l’Open Banking pour offrir des fonctionnalités supérieures qu’un outil comme Manageo ne pourra pas offrir à cause de la réglementation.
À titre d’exemple, Pennylane (outil de comptabilité et de pilotage financier) offre la possibilité de centraliser en temps réel toutes les données de l’entreprise — comptes bancaires, factures clients et fournisseurs, faire un rapprochement automatisé et offrir une vue en temps réel sur l’état et l’évolution de la trésorerie. Ce sont des fonctionnalités rêvées par pleins de dirigeants marocains, mais qui sont impossibles dans le contexte local.
Quel positionnement SAAS pour les start-ups Marocaines ?
On peut segmenter les entreprises SAAS marocaines en fonction de 2 caractéristiques :
Périmètre géographique du produit (Local versus international) : un SAAS de comptabilité ou de gestion de paie est forcément limité géographiquement au début car il y a des enjeux légaux et réglementaires à paramétrer, pays par pays. Par contre, un CRM ou un outil de gestion de stock peut être vendu partout dans le monde avec des travaux de localisation limités à la gestion des langues
Stratégie Go-to-market (Top-down versus Bottom-up) : La vente de produits SAAS se fait de deux manières
en self service (Bottom-up) : l’entreprise souscrit et adopte elle-même le produit dans son quotidien, avec un support limité du fournisseur de service. La vente est faite via des techniques de rebonds commerciaux (mailing) ou du chat. Ces techniques sont peu développées au Maroc. Par exemple, des produits comme la gestion de facturation pour une PME ou un outil de scrapping de mail peuvent être vendus libre-service sans interaction humaine.
en vente “classique” (top-down) : l’adoption du produit se fait via des ventes à des cycles longs. Cela concerne principalement les produits complexes et destinés à des entreprises d’une taille significative. Ce mode de vente nécessite un produit suffisamment mature adossé à une force de vente expérimentée (et chère). Par exemple, un outil de Transport Management System à destination de grandes entreprises est forcément top-down en raison du cycle long de vente, un besoin d'alignement de plusieurs départements au sein de la même entreprise, ainsi que la complexité de l’implémentation et du paramétrage.
Dans un contexte pareil, 2 positionnements me paraissent viables :
Pour les produits Bottom-up, un positionnement dès le premier jour à l’international comme Scalify ou Skrapp, des start-ups marocaines qui ont atteint une taille importante:
Scalify : Depuis Marrakech, Yassir Ennazk a lancé un outil de gestion des publicités Facebook et Google. Scalify a désormais plus de 10 000 utilisateurs. L’abonnement mensuel varie de 40$ jusqu’à 3000$. Si on prend l’hypothèse d’un prix moyen de 50$ et d’un taux de rétention de 20%, on est déjà à un ARR de +1 m$ (Estimation high-level à prendre avec précaution).
Skrapp : En 2017, Othman Ghazi a lancé un outil de scrapping Linkedin utilisé par 1,5 million utilisateurs (selon la landing page). Sur Similarweb, le site reçoit + 200 000 visiteurs mensuels, dont +20% proviennent des Etats-Unis. Le prix minimum est 49 $ par mois par abonné.
Pour les produits Top-down, qui s’adressent à des grandes entreprises comme Freterium ou Konta. Il est préférable d'itérer sur le produit avec des entreprises marocaines et des multinationales basées au Maroc, pour développer des références avant de s’adresser à l’international. La navigation de grands groupes nécessite d'avoir un réseau local : il est quasiment impossible d'onboarder une grande entreprise française depuis le Maroc pour un produit sans références établies. C’est exactement ce qu’à fait Freterium en onboardant + 30 clients locaux (tels que Danone, Electroplanet, Mondele), avant d’ouvrir un bureau à Dubaï pour adresser le Moyen Orient.
Le positionnement le plus critique est de faire un produit exlusif aux PMEs marocaines tels que la gestion de paie ou la comptabilité. Ces produits sont complexes, forcément locaux au début, mais au vu de la propension à payer et le potentiel de pénétration, il est quasiment impossible de construire un business viable à terme.
Ce genre de SAAS est critique pour digitaliser l’économie marocaine, mais vu les chiffres réalisés par des startups comme Ajiel, c’est plus du “Service public ou NGO“ qu’une entreprise à vocation lucrative. Ce constat est partagé également par certains investisseurs de la place comme SEAF :
« Aujourd’hui et à l’exception d’une seule, toutes les startups de notre portefeuille ont une activité en dehors du Maroc. Pour la majorité, le Maroc est un marché pour tester et renforcer leur solution avant de l’exporter » Meriem Zairi, SEAF Morocco Growth Fund
Pour les SAAS 100% locaux, un modèle potentiel serait de fournir le SAAS gratuitement ou à un prix très abordable comme produit d’appel, tout en mettant en place d’autres sources de revenus :
Génération et qualification de leads pour des entreprises prêtes à payer. À titre d’exemple, Zenefits fournit un logiciel de gestion de paie gratuituitement, mais se rémunère en tant que courtier (apporteur d’affaires) pour les assurances.
Services à forte valeur ajoutée : A titre d’exemple, un outil de déclaration des impôts, qui propose des sessions payantes avec des experts en optimisation fiscale comme TacoTax ou TurboTax.
Est-ce possible de développer de belles entreprises SAAS depuis le Maroc ?
Aucun doute dessus et on a eu la réponse depuis 1994 par HPS. Ce spécialiste de la monétique, commercialise ses solutions technologiques partout dans le monde, y compris en Europe. (Néanmoins, leur business model n’est pas SAAS, c’est plutôt axé sur le frais de processing et coûts d’implémentation et de maintenance de leurs solutions monétiques)
Dans la région d’Afrique du nord, 2 scale-ups SAAS ont retenu mon attention et qui peuvent être de belles sources d’inspiration pour le Maroc : Expensya en Tunisie et Instabug en Egypte :
Expensya édite une solution d’automatisation de gestion de dépenses (notes de frais) : Depuis Tunis, elle a pu attirer en 5 ans plus de 5 000 clients de la PME aux plus grands noms européens (Crédit Agricole, Sephora, Natixis, Vinci, Volvo Rimowa, Gerolsteiner…). Elle a onboardé plus de 500 000 salariés utilisateurs dans 100 pays.
Instabug qui développe un SDK de gestion de bugs des applications mobiles à destination des développeurs. Depuis l'Egypte, la start-up a développé un portefeuille de 25 000 clients actifs, qui ont installé son SDK dans + 2,5 billions smartphones. Sachant qu’InstaBug est en concurrence directe avec la solution CrashAnalytics de Google. Elle compte des clients comme Asana, Lyft, Soundcloud, Ebay, Samsung, Careem etc…
Malgré la différence d’échelle, un autre exemple pertinent pour le Maroc est l'Inde, qui a pu s’appuyer sur son industrie d’offshore IT pour créer de +50 de boîtes SAAS, ayant un chiffre d’affaires supérieur à 10 M$.
Le Maroc dispose également de 46 000 software engineers, avec un ratio par habitant plus important que l’Egypte et le Nigeria. En plus, des initiatives comme l’école 1337, pourraient être des launchpad pour des boîtes SAAS.
Comment y arriver ? Des liens pour aller plus loin !
Penser à l’international dès la première journée, voire éviter le marché marocain au début lorsque possible :
"En SAAS, gagner un dollar est plus facile que de gagner un Dh.”
S’attaquer à des segments de niche en Europe, peut être plus promoteur que créer une solution de comptabilité pour 2 millions de TPEs marocaines (Vendre à l’international nécessite un montage juridique compliqué pour configurer un compte Stripe, respecter la RGPD etc… mais largement faisable).
Choisir le bon problème : c’est l’élément le plus important. La plupart des fondateurs SAAS sont des ingénieurs et ils peuvent chercher à développer des solutions cool et très puissantes techniquement, mais avec une valeur limitée pour l’utilisateur. En SAAS, il est préférable de bien remplir un trou (besoin niche bien identifié) que de construire une forêt.
Construire un MVP rapidement : c’est un classique. Privilégier la rapidité et les feedbacks utilisateurs plutôt que prendre du temps pour créer le prototype parfait. Néanmoins, pour certains segments hyper-crowded, créer un prototype parfait est la clé pour réussir le lancement de produit (ex. une solution de gestion d'e-mails comme Hey.com ou SuperHuman)
Avoir un go-to-market adapté cohérent avec son produit : Comme le précise, Christophe Janz, il y a plusieurs façons de construire une boîte qui fait 100 m$ d’ARR, mais il est nécessaire d’avoir une cohérence entre le CAC et le LTV
Construire une machine commerciale rapidement : Freterium est un bon exemple dans ce sens. Après avoir stabilisé le produit, les fondateurs ont recruté un directeur commercial avec + 15 ans d’expérience chez SAP.
Développer une culture Product dès le début : C’est empirique, les entreprises Product led growth croient beaucoup plus vite et sont économiquement plus viables. Définir une feuille de route avec des limites clairement définies sans tomber dans le piège de personnalisation est clé.
Exploiter la tendance de Build in Public pour créer une communauté autour du produit et recueillir les commentaires des clients au fur et à mesure.
En tout cas, l’année 2021 s’annonce prometteuse pour le SAAS marocain avec un record historique en termes de levées de fonds. La dernière étant DamaneSign par Maroc Numeric Fund.
Software is eating the world & will eat Morocco sooner or later :)